Guinée : le Premier ministre et le garde des Sceaux s’affrontent, la présidence pour trancher

14 février 2024 4 min(s) pour lire
Partager sur

Le Premier ministre guinéen ne supporte plus les « agissements » de son garde des Sceaux. Les dernières décisions d’Alphonse Charles Wright ordonnant aux procureurs d’ouvrir des enquêtes contre les directeurs administratifs et financiers, les directeurs généraux des établissements publics ainsi que les gestionnaires des budgets des collectivités décentralisées ont réveillé les vieilles tensions entre les deux hommes.

Le Chef du gouvernement qui ne comprend plus l’attitude solitaire de son ministre de la Justice et des Droits de l’Homme a décidé de le recadrer. Dans un courrier en date du 13 février 2024, Bernard Goumou déclare n’avoir reçu aucune information par rapport à cette décision d’Alphonse Charles Wright. Il rappelle d’ailleurs à ce dernier que ses nombreuses injonctions depuis sa prise de fonction restent sans suite.

« Pour qu’une décision aussi importante soit mise en œuvre, il est indispensable que le Conseil des ministres qui est la plus haute instance décisionnaire soit saisi », rappelle-t-il. Le Premier ministre Goumou ajoute que « la seule volonté d’un ministre ne peut suffire dans le cas d’espèce. »

Pour « rectifier » le tir, il demande au ministre de suspendre « toutes les procédures engagées dans cette affaire et de soumettre un dossier complet au Conseil des ministres comportant tous les éléments factuels. »

Le garde des Sceaux dit niet, pas de recul

La réaction de Charles Wright ne s’est pas fait attendre. Dans un courrier réponse, l’ancien procureur général de la Cour d’Appel de Conakry fait remarquer au Premier ministre que ses décisions « trouvent leur base légale dans la loi ».

Le garde des Sceaux dit clairement à Bernard Goumou qu’il ne peut revenir sur sa décision.

« Sur votre demande de suspendre toutes les procédures engagées, je suis au regret de rappeler que l’action publique ne peut être ni interrompue, ni suspendue ou éteinte par l’instruction du pouvoir exécutif, et toute insistance dans ce sens serait une entrave à la justice, constitutive d’infraction à la loi pénale, avant d’être une atteinte grave au principe de séparation des pouvoirs », écrit-il.

Poursuivant, il ajoute : « Le Président de la République, en tant que garant de la stabilité et de l’équilibre des institutions, ne saurait tolérer une telle violation de la part de quelques autorités que ce soient. »

Le torchon brûle et les regards sont tournés vers la présidence de la République.

Un premier incident en avril 2023

La tension entre les deux hommes ne date pas d’aujourd’hui. Le 13 avril 2023, le ministre de la Justice avait accusé le Premier ministre d’interférer dans ses affaires. Il lui reprochait notamment de passer dans son dos pour s’entretenir directement avec des magistrats du parquet.

Alphonse Charles Wright s’insurgeait du fait que le Goumou invite les magistrats du parquet pour discuter des procédures judiciaires, « en violation du principe de l’indépendance judiciaire ». « En dépit des démarches informelles menées pour faire cesser de tels agissements, le procureur général près la Cour d’appel de Conakry a été invité de nouveau », dénonçait Wright.

A la différence du premier, l’incident actuel risque de fragiliser le gouvernement. La organise du 15 au 16 février 2024 à Dubaï, la table ronde des donateurs pour le financement du Programme de Référence Intérimaire (PRI) 2022-2025. Certains participants sont interdits de sortir du territoire suite aux injonctions du ministre de la Justice.

Dans son courrier adressé au Général Amara Camara, ministre secrétaire général de la Présidence de la République, le Premier ministre demande qu’il ordonne l’établisement d’ordres de mission en faveur des agents publics concernés. Il n’a que la journée de ce mercredi pour le faire. Un refus serait synonyme d’humiliation pour Bernard Goumou qui pourrait en tirer toutes les conséquences. Signer également les ordres de mission alors que ces personnes sont interdites de sortir du territoire contribuera à dégrader davantage l’image de la justice et mettre le ministre de la Justice dans une position inconfortable.

La journée de ce mercredi 14 février 2024 s’annonce donc décisive pour les uns et les autres. Celui qui aura le soutien du Palais Mohamed V remporte sans nulle doute le match.

Laisser un commentaire