Guinée : l’extension .GN a-t-elle vraiment été rapatriée ?

7 mai 2024 7 min(s) pour lire
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Les autorités guinéennes ont annoncé en octobre 2023, le rapatriement de l’extension .GN. Ousmane Gaoual Diallo, ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie Numérique à l’époque, avait même été félicité par le président de la transition lors du conseil des ministres du vendredi 27 octobre 2023. Six mois après, où en sommes-nous ?

Le .GN, c’est le numéro ou le code d’identification attribué à la Guinée sur les réseaux et sur internet, par l’Autorité d’Assignation des Numéros Internet (IANA). Chaque pays détient un nom unique comme le .CI en Côte d’Ivoire, le .ML au Mali, le .FR en France… En Guinée, depuis des années ce numéro d’identification unique est géré par des particuliers. Les multiples tentatives de différents ministres qui se sont succédés à la tête du ministère des télécommunications se sont longtemps avérées infructueuses.

C’est en fin octobre 2023 qu’on annoncera officiellement le rapatriement de cette extension.

Le rapatriement est-il vraiment effectif ?

Pour répondre à la question, il faut d’abord comprendre les dessous de cette histoire rocambolesque.

En réalité, durant 29 ans, la Guinée n’a jamais pu gérer ni héberger son numéro d’identification unique détenu par deux complices qui « refusaient » toute collaboration avec les autorités guinéennes. L’américain Randy Bush et le guinéen Mamoudou Keita puisqu’il s’agit d’eux, avaient une mainmise sur ce code unique qui représente la souveraineté numérique de la Guinée. Ce sont eux qui sont légalement enregistrés au niveau de l’IANA comme étant contact technique et administratif

Plusieurs démarches seront menées par différents ministres notamment Oyé Guilavogui et Moustapha Mamy Diaby sans grand succès. Mais avec le ministre Diaby, il y aura une petite avancée sur le plan administratif avec l’obtention de l’agrément A/N°5420/MATD/CAB/SERPROMA/2018 de l’Association Guinéenne en charge du Nommage Internet en Coopération « NIC GN ». C’est cette association qui sera désignée par arrêté A/N°6480/MPTEN/CAB/2018 pour la gestion administrative et technique du nom de domaine Internet nation « .GN ».

Avec Said Oumar Koulibaly, le dernier ministre des télécommunications du gouvernement Alpha Condé, des équipements seront achetés dans but de mieux se préparer à héberger le serveur racine.

Après la prise du pouvoir par le Comité National pour le Rassemblent et le Développement (CNRD), le ministère des Postes, Télécommunications et de l’Économie Numérique en collaboration avec l’association NIC GN s’est engagé à prendre des mesures nécessaires pour le rapatriement des bases administratives et techniques du domaine internet national, dans une approche multi-acteurs.

Le 12 avril 2022, l’agence nationale de digitalisation de l’État (ANDE) est créée par décret N° D/2022/0196/PRG/CNRD/SGG. Elle est chargée principalement de la mise en œuvre de la politique, des stratégies, des programmes et projets du gouvernement guinéen, en matière de digitalisation de l’État. Il est également chargé de rendre cohérent les choix technologiques de l’État. Des ressources seront ainsi mobilisées pour d’une part l’acquisition des équipements pour la data center devant abriter les bases techniques du .GN, et d’autre part le recrutement de l’entreprise sud-africaine DNS AFRICA afin d’accompagner la Guinée dans le processus de ré-délégation de son nom de domaine, suivi d’une formation pour le renforcement des équipes qui seront en charge. Des techniciens seront même envoyés à Dakar (Sénégal) pour s’inspirer.

Quelques temps après, la Guinée formule une nouvelle requête auprès de l’IANA mais sans succès. L’autorité d’assignation des numéros internet conseille de rentrer en contact avec Randy Bush et Mamoudou Keita qui sont les vrais gestionnaires du domaine. De tentative en tentative, les deux complices finiront par céder.

Nouvel obstacle interne

En octobre 2023, le rapatriement et la migration sont effectifs. Une copie de la base de données avec tous les domaines est également rendue à la Guinée. L’IANA fera le test du nouveau serveur basé à Conakry et les nouveaux gestionnaires sont des personnes désignées par la Guinée : un contact administratif qui est le président de l’association NIC GN et un technicien de l’ANDE comme contact technique. C’est ainsi que Ousmane Gaoual Diallo, ministre des Postes et Télécommunications à l’époque, fera l’annonce officielle.

Mais tout s’arrête là également à cause des bisbilles internes sur la gestion. Qu’est-ce qui se passe ? L’association NIC GN qui devrait assurer la gestion administrative et technique se verra ‘’retirer’’ l’aspect technique au profit de l’Agence Nationale de Digitalisation de l’État. La raison, selon les autorités est simple, « NIC GN n’a pas de compétences techniques et tout le travail de rapatriement a été fait par l’ANDE ». De quoi normal, dit-on, de confier le volet technique à l’ANDE en attendant que NIC GN ait des techniciens « compétents ».

Les prochaines étapes devraient être normalement la validation et la publication de la charte de nommage (les conditions prévues par les règles de gestion des noms de domaine) ; l’identification et l’accréditation des licences au bureau d’enregistrement ; l’opérationnalisation totale des services.

Malheureusement, tout est bloqué et chacun rejette la responsabilité à l’autre. L’association NIC GN est accusée de ne rien faire administrativement. Nos sources nous apprennent par exemple que jusqu’à date, la charte de nommage n’est pas disponible et que l’association ne dispose même pas de siège.

Des accusations balayées d’un revers de la main par un responsable de NIC GN qui a préféré garder l’anonymat. Selon lui, l’association dispose bien d’un siège qui se trouve à l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry. A l’en croire, il n’y a même pas de blocage à leur niveau.

« On ne se lève pas un jour pour dire je fais ceci ou cela. A la guinéenne. Il y a des exigences et normes internationales. Du point de vue juridique, il faut que nous mettions des règles qui régissent la gestion du nom de domaine. C’est ce qu’on appelle la charte de nommage qui détermine qui fait quoi, comment on le fait… ? Ensuite, il y a la question des ressources humaines. On ne peut pas ramasser quelqu’un parce qu’il a fait l’informatique quelque part. Il faut des ingénieurs pointus et des équipements. Il faut que l’association ait aussi son personnel et les ressources financières adéquates. Nous avons préparé le document avec le budget qui se trouve au niveau du ministère. Les gens doivent arrêter de raconter des histoires. Même le ministre secrétaire général de la présidence de la République est informé. », a-t-il indiqué.

Pour que les choses marchent, ajoute-t-il, il faut beaucoup d’argent et des ressources humaines qualifiées

En attendant, les regards sont tournés vers la nouvelle ministre, Rose Pola Pricémou pour débloquer la situation.

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