Guinée : lever le voile sur l’accès aux données publiques

27 janvier 2025 5 min(s) pour lire
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En Guinée, l’accès aux données de qualité et à jour reste un défi majeur. Celles qui existent sont souvent dispersées, incomplètes ou difficilement accessibles malgré l’existence de la loi N°2020/0027 sur le droit d’accès à l’information publique. Cette loi donne en effet le droit à tout citoyen de demander des informations sans justification, et les organismes ont le devoir de répondre dans un délai de 20 jours. « En cas de refus, une réponse écrite et motivée est requise, et le silence vaut refus implicite », précise la loi. Pourtant, cette disposition est souvent ignorée par de nombreuses institutions publiques, freinant l’accès à des informations cruciales pour la transparence, la gouvernance et le développement.

Une réalité préoccupante

Au cours de mes recentes recherches journalistiques, j’ai été confronté à de nombreux exemples illustrant les lacunes de la gestion des données publiques :

▪︎ Un manque criant de données ouvertes :

Lors d’une enquête entre juillet et août 2024 sur les conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs dans la préfecture de Lola en Guinée forestière, il était impossible d’obtenir des statistiques fiables sur le nombre d’éleveurs, de têtes de bétail ou même d’agriculteurs. Les responsables locaux, contactés à divers niveaux, ont avoué ne pas disposer d’informations actualisées.

▪︎ Des données imprécises ou inexistantes et un manque de réactivité des institutions :

Dans la perspective de la rédaction d’un autre article sur l’impact du Branding National qui vise à promouvoir la destination Guinée, j’ai écris le 26 novembre 2024 à l’Office National du Tourisme (ONT) pour connaître le nombre de touristes étrangers ayant visité le pays sur la période 2022-2024 et l’impact du secteur sur l’économie nationale en termes de création d’emplois, de recettes fiscales et de contribution au PIB. À ce jour, aucune réponse. Certains agents de l’ONT, avec qui j’ai échangé, m’ont avoué qu’ils se réfèrent uniquement aux statistiques de l’aéroport, considérant à tort que tout arrivant est un touriste.

Dans le même cadre et au même moment, j’ai contacté l’Agence de Promotion des Investissements Privés (APIP) pour obtenir des chiffres sur l’investissement direct étranger (IDE). Malgré des relances et des promesses de retour, aucune donnée n’a été fournie.

Ces cas parmi tant d’autres reflètent une réalité quotidienne pour de nombreux journalistes, étudiants, chercheurs, acteurs économiques…

Les bienfaits des données ouvertes : des exemples inspirants

Loin de ces dysfonctionnements, plusieurs pays voisins ou africains ont montré que les données ouvertes peuvent transformer la gouvernance et stimuler l’innovation.

Au Sénégal, la plateforme Open Senegal, également connue sous le nom de Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO), centralise des données sectorielles, notamment sur l’éducation, la santé et les finances publiques. Cette initiative a permis d’améliorer la transparence dans la gestion des budgets publics et d’encourager les citoyens à surveiller les dépenses de l’État. Par exemple, des ONG sénégalaises ont utilisé ces données pour dénoncer des irrégularités dans l’attribution de marchés publics, renforçant ainsi la redevabilité des institutions.

Au Kenya, l’initiative Open Data Kenya (KODI), lancée en 2011, a significativement amélioré la transparence gouvernementale en rendant accessibles des données essentielles telles que les dépenses publiques et les résultats du recensement. Cela permet aux citoyens de surveiller la gestion des ressources publiques, renforçant ainsi la responsabilité des gouvernements. De plus, l’initiative a encouragé une culture de journalisme basé sur les données, permettant aux médias d’exercer un contrôle plus efficace sur les actions gouvernementales. Malgré des défis initiaux liés à la réticence des institutions à partager des données, l’adoption de la loi sur l’accès à l’information en 2016 a consolidé ces avancées.

D’autres exemples en Afrique du Sud montrent que des plateformes comme « Vulekamali » (axée sur la transparence budgétaire) ont permis aux citoyens de suivre en temps réel les dépenses publiques, ce qui a significativement réduit les soupçons de corruption.

Que faire pour transformer la situation en Guinée ?

Aujourd’hui, il serait judicieux pour le gouvernement de faire de l’accès à l’information publique une véritable priorité nationale, notamment par l’adoption de certaines mesures :

▪︎ Renforcer l’application de la loi sur le droit d’accès à l’information publique en obligeant les institutions publiques à respecter les délais et obligations légales liés aux demandes d’information.  Des mécanismes de sanction pour non-respect de la loi doivent, par exemple, être instaurés, comme cela se fait dans certains pays.

▪︎ Mettre en place une plateforme nationale de données ouvertes, inspirée des initiatives sénégalaises et kényanes, pour centraliser les données sectorielles (santé, éducation, économie, agriculture…).  La gestion pourrait être confiée à l’Institut national de la statistique (INS), avec un financement accru et un appui technique de partenaires internationaux.

▪︎ Encourager l’innovation et l’engagement citoyen. Des hackathons, concours et incubateurs de start-ups peuvent, par exemple, être initiés pour encourager les jeunes développeurs et entrepreneurs à créer des solutions basées sur les données. La société civile et les ONG pourraient aussi développer des projets en ce sens et continuer à intensifier les campagnes de plaidoyer pour exiger plus de transparence.

L’ouverture des données publiques est une opportunité immense pour la Guinée. En s’inspirant des exemples réussis au Sénégal, au Kenya et ailleurs, le pays pourrait non seulement renforcer sa transparence et sa gouvernance, mais aussi stimuler l’innovation et attirer davantage d’investissements.

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