Le droit à la manifestation est un droit consacré par les textes nationaux et les conventions, accords et traités internationaux notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques. En Guinée, les appels à manifester sur la voie publique par les acteurs politiques et sociaux suscitent souvent des polémiques. Les autorités se basent notamment sur le fait que les manifestations en Guinée se soldent toujours par des violences et des pertes en vies humaines. Du côté des organisateurs, on estime que manifester est un droit fondamental.
Dans ce billet, nous tentons de nous intéresser à la problématique des manifestations sur la voie publique en Guinée. Il est important de préciser que je ne suis pas juriste, je me base plutôt sur des conventions internationales et la loi N° 2016/059/AN du 26 octobre 2016 portant sur le code pénal de la République de Guinée.
En effet, selon le droit international, le droit de manifester ne devrait pas être soumis à une autorisation préalable, les manifestations publiques sont donc présumées légales. Devoir demander une autorisation pour manifester ses opinions a un effet dissuasif trop fort et limite donc l’exercice de cette liberté fondamentale. Sauf que cette façon de voir n’est pas la même en Guinée.
Contraste entre le droit international et le droit guinéen
Si le droit international présume que manifester sur la place publique est légal, il admet cependant que les Etats puissent prendre des lois qui encadrent ce droit etn demandant aux organisateurs de déclarer à l’avance les manifestations sur la voie publique. En Guinée, ce droit qui est encadré par le code pénal contraste un peu avec le droit international. Cette inadéquation ainsi que la non-maîtrise des dispositions des textes législatifs et règlementaires par les acteurs -autorités, leaders politiques et d’opinion, militants et citoyens en général- expliquent parfois les tensions. En Guinée, le droit de manifester est soumis à trop d’exigences et exposent les organisateurs et les participants à des sanctions parfois très sévères.
Que dit la loi ?
Le code pénal encadre la gestion des manifestations sur deux aspects : administratif et juridique.
- Sur la gestion administrative
Les textes législatifs et réglementaires permettent effectivement aux citoyens d’exercer leurs droits. Notamment de manifester leurs opinions mais avec l’autorisation de l’autorité compétente. Et, la gestion administrative exige un certain nombre de formalités à remplir pour accéder à ces droits. La première des choses, c’est la déclaration et le choix de la forme la plus appropriée pour porter ses revendications.
Mais dans la plupart des cas, ça ne se passe pas ainsi. De nombreux organisateurs ne respectent pas la règle de la déclaration préalable lorsqu’il s’agit par exemple d’une manifestation à caractère politique ou sociale sous prétexte que ladite manifestation sera de tout façon interdite. Pourtant, la manifestation, quoique bien fondée, devient illégale si elle n’est pas déclarée et autorisée et peut occasionner des troubles à l’ordre public que l’autorité de police administrative s’empresse de réprimander.
L’article 621 du code pénal stipule en effet que : « Doivent faire l’objet d’une déclaration préalable, les réunions publiques, les cortèges et défilés et, d’une façon générale, les manifestations politiques sur les voies et lieux publics ». Il n’y a que les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux, notamment les cérémonies religieuses, sportives, culturelles, artistiques et traditionnelles qui sont dispensées de cette déclaration.
L’article 622 indique que la déclaration écrite est adressée aux maires des communes urbaines ou rurales, 3 jours francs au moins et 15 jours francs au plus avant la date prévue par les organisateurs. Et, dans les 24 heures de la réception de la déclaration, l’autorité en informe le pouvoir de tutelle, après avoir auparavant délivré un récépissé au déclarant. La déclaration doit faire mention des prénoms, nom, nationalité et domicile des organisateurs. Elle doit aussi être signée par trois d’entre eux faisant élection de domicile dans la région. La déclaration doit, en outre, indiquer avec précision le but, l’heure, le lieu, la durée de la réunion et l’itinéraire projeté s’il s’agit d’un défilé, d’une marche ou d’un cortège.
Et plus loin, l’article 625 précise que tout défilé, cortège ou manifestation sur la voie publique doit avoir un comité d’organisation composé d’au moins 5 personnes. Ce comité est chargé de passer des consignes de sécurité en vue de maintenir l’ordre et d’empêcher toute infraction aux lois et règlements en vigueur en collaboration avec les forces de maintien de l’ordre. La loi dit que les membres du comité d’organisation sont civilement responsables des infractions résultant de l’inobservation des dispositions de l’alinéa précédent.
- Sur la gestion judiciaire
Il y a également un ensemble de dispositions pénales. L’article 625 alinéas 4 dit que l’entrave au droit de manifester est punie de 1 à 6 mois d’emprisonnement et de 1.000.000 à 5.000.000 de francs guinéens d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.
Et plus loin, l’article 636 punit d’un emprisonnement de 3 à 6 mois et d’une amende de 500.000 à 2.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement, ceux qui font une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper l’autorité administrative sur les conditions de la manifestation projetée ou qui, soit avant le dépôt de la déclaration prescrite à l’article 622, soit après l’interdiction, ont adressé par un moyen quelconque, une convocation à y prendre part.
Sont punis également d’un emprisonnement de 6 mois à 1 an et d’une amende de 500.000 à 2.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement, ceux qui participent à l’organisation d’une manifestation non déclarée ou qui a été interdite.
Et d’autres peines pour d’autres types d’infractions sont également prévues par le code pénal.
Une manifestation non déclarée est-elle illégale ?
En droit international, elle ne devrait pas l’être. Mais le droit guinéen est clair dessus : selon l’article 623 du code pénal, l’autorité administrative responsable de l’ordre public peut interdire momentanément une réunion ou une manifestation publique, s’il existe une menace réelle de trouble à l’ordre public.
La décision d’interdire une réunion ou une manifestation publique doit être suffisamment motivée et notifiée aux signataires de la déclaration dans les 48 heures de la réception de celle-ci.
L’autorité de tutelle peut, soit confirmer la décision d’interdiction, soit l’annuler. Et, la décision d’interdire peut faire l’objet de recours devant le tribunal de première instance du ressort.
Il y a également des sanctions comme nous l’avons dit ci-haut, qui sont prévues contre ceux qui participent à l’organisation d’une manifestation non déclarée ou qui a été interdite.
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La gestion des manifestations dans le contexte guinéen se révèle très complexe. En effet, la manifestation par définition a lieu sur la voie publique. Or la voie publique constitue également le lieu d’exercice privilégié de la liberté de mouvement (aller et revenir). Et, son affectation première demeure la circulation. Ainsi, la liberté de manifester et celle de mouvement peuvent s’opposer et porter atteinte à l’ordre public. Généralement pendant les manifestations, certaines personnes qui ne participent pas sont violentées et leurs biens sont saccagés. Elles sont qualifiées de « traîtres ». Cette situation provoque parfois des tensions et des affrontements.
Aussi, rendre les organisateurs responsables de ce qui pourrait arriver est une manière de dédouaner les autorités et les forces de l’ordre pour d’éventuelles bavures.
Il est donc important aujourd’hui de voir quelle forme donnéer aux manifestations. Si nous voulons vraiment que ce droit puisse s’exercer librement comme dans d’autres pays, il faut revoir les textes notamment le code pénal.
De nos jours et dans la plupart des pays démocratiques, les lois (par exemple le premier amendement de la constitution américaine) permettent les manifestations et la liberté de se regrouper, qu’ils considèrent comme un droit et un contre-pouvoir. Peut-être qu’on arrivera à ce stade un jour.
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