Guinée : un retour incertain à l’ordre constitutionnel en 2024

1 janvier 2024 5 min(s) pour lire
Partager sur
Boni Yayi, médiateur de la CEDEAO et le colonel Mamadi Doumbouya lors de la signature de l’accord pour le retour à l’ordre constitutionnel, le 21 octobre 2022

Aux termes d’un accord conclu le 21 octobre 2022 avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la junte au pouvoir en Guinée a accepté de rendre le pouvoir aux civils dans un délai de 24 mois, à compter du 1er janvier 2023. Dans son adresse à la nation à l’occasion du nouvel an 2024 qui constitue logiquement la dernière année de la transition, le président Mamadi Doumbouya a laissé des guinéens sur leur faim. Aucune annonce ou garantie quant au respect du délai des deux ans.

Le discours était très attendu par les guinéens notamment les acteurs politiques et sociaux, mais finalement il a été en déjà des attentes notamment sur le principal point concernant le retour à l’ordre constitutionnel. Le colonel Mamadi Doumbouya a préféré ne pas s’aventurer trop sur le sujet. Il s’est juste contenté d’annoncer l’organisation du référendum pour l’adoption d’une nouvelle Constitution « qui nous ressemble et nous rassemble », courant 2024. Les autres détails ont simplement été ignorés ce qui suscite un doute quand à la volonté réelle des autorités.

Garantie pour l’organisation d’élections démocratiques, mais aucune date

Si le colonel réitère sa volonté d’organiser « des élections libres, transparentes et démocratiques », il ne précise pas cependant si elles se tiendront courant 2024. Mieux, il indique que les élections seront organisées « de la base au sommet » en respectant, dit-il, les 10 points du chronogramme de la transition.

Mais à date, à part l’adoption le 25 novembre 2023 de la loi sur l’identification des personnes physiques et la loi relative à l’état civil qui entrent dans le cadre des deux premiers points du chronogramme, rien n’est fait concrètement. Aucune date précise également sur l’organisation du référendum constitutionnel annoncée pour 2024.

Le financement du processus en question

Pour sortir de la transition, le gouvernement a annoncé en août 2023, un budget de 5 812 milliards 456 millions 180 mille 661 GNF, soit environ 600 millions de dollars américains. Aujourd’hui, difficile de dire le montant déjà mobilisé par l’Etat guinéen tant le gouvernement entretient l’amalgame.

Dans une interview accordée à TV5 Monde le 19 août 2023, le Premier ministre Bernard Goumou avait annoncé que le gouvernement a mobilisé 40 millions sur les 600 millions de dollars, pour faire avancer le processus. Et quelques jours après (28 août 2023), son ministre de l’Administration du Territoire, Mory Condé, annoncera sur une radio de la place que le montant déjà mobilisé par l’Etat s’élève à près de 80 millions de dollars soit presque le double du montant annoncé par le Premier ministre, Bernard Goumoua.

Et dans son discours du 31 décembre 2023, le président n’a pas touché ce côté. Toutefois, en abordant les questions économiques, il a laissé entendre que « le financement extérieur se fait rare ». La Guinée seule peut-elle donc mobilier les 600 millions de dollars ? Impossible ! Surtout dans un contexte de crise économique aggravé par les conséquences de l’incendie au terminal pétrolier de Conakry. Les ministres en charge de l’économie et du budget alertent déjà que les recettes du budget de l’Etat connaîtront une baisse de 446,11 milliards GNF en 2024 et pendant ce pendant la dette publique s’est envolée à 9,240 milliards de dollars, dont 4,739 milliards dollars de dette intérieure et 4,501 milliards dollars de dette extérieure.

Une période de turbulence s’annonce

La Guinée fait face à une crise multidimensionnelle (économique, social, politique…). Depuis des mois, le dialogue est rompu entre la junte et les principaux acteurs de la vie sociopolitique. Cellou Dalein Diallo, le principal opposant au régime d’Alpha Condé (président déchu) se trouve en exil tout comme d’autres activistes de la société civile.

Ces derniers temps, la junte a aussi décidé de prendre une allure autoritaire. Depuis plus d’un mois, l’accès à internet et à des plateformes de réseaux sociaux est restreint, des fréquences des radios les plus suivies sont brouillées à Conakry et la Haute Autorité de la Communication (HAC) a ordonné le retrait des radios et télévisions Djoma, Espace et Évasion sur les bouquets Canal+ et StarTimes. La population vit dans le noir total.

Ces tensions et crises laissent présager une année 2024 incertaine. Quant au retour à l’ordre constitutionnel, il est désormais clair que techniquement et financièrement, c’est impossible. La seule possibilité peut-être pour rester dans le délai initialement prévu est d’aller directement à l’élection présidentielle et laisser le président élu achever le processus. Mais un tel scénario n’est pas envisageable au niveau de la junte. Doumbouya l’a d’ailleurs fait savoir, « les élections se feront de la base au sommet » et les différentes étapes du chronogramme seront respectées. Ceux qui espéraient ainsi voir le colonel Mamadi Doumbouya libérer le Palais Mohamed V en 2024 pour son successeur, doivent encore patienter. Mais jusqu’à quand ? That’s the question…

Laisser un commentaire