Passage du Colonel Mamadi Doumbouya à la tribune de l´ONU : des contradictions et des doutes
Le président de la transition en Guinée s’est exprimé ce jeudi 21 septembre 2021, à la tribune des Nations Unies à New York. Entre la justification des coup d’Etat sur le continent, le procès de l’ancien régime, les attaques contre des politiques, la critique de la démocratie… le colonel Mamadi a tenu à se défouler ? Mais que faut-il retenir ?
Sur certaines parties du discours, je suis tenté de rejoindre l’homme. Quand il demande par exemple d’avoir des réflexions approfondies sur la question des coups d’Etat en Afrique francophone, c’est une évidence. Il l’a dit, « pour traiter le mal, il faut s’intéresser aux causes racines. » Et comme je l’ai toujours rappelé aussi, tant qu’il y aura des traitements de deux poids deux mesures face aux putschs constitutionnels et armés, on ne s’en sortira pas. D’ailleurs, je pense que le colonel a trouvé la bonne formule pour le rappeler : « le putschiste n’est pas seulement celui qui prend les armes pour renverser un régime. (…) Les vrais putschistes, les plus nombreux, qui ne font l’objet d’aucune condamnation, c’est aussi ceux qui manigancent, qui utilisent la fourberie, qui trichent pour manipuler les textes de la constitution afin de se maintenir éternellement au pouvoir. C’est ceux en col blanc qui modifient les règles du jeu pendant la partie pour conserver les rênes du pays. »
Il n’a pas totalement tort aussi quand il affirme que des « leaders nationaux à qui on a souvent accordé des certificats de démocrate » ne sont pas en réalité des démocrates et ont des comportements « sournois ».
Par contre, il y a des parties du discours qui, à mes yeux, relèvent du populisme et du souverainisme sans sens. Quand le président de la transition dit qu’il faut comprendre clairement que « l’Afrique de papa, la vieille Afrique, c’est terminé », je ne sait pas ce qu’il a voulu dire concrètement. Parce qu’un pays qui dépend fortement de l’aide extérieur, qui sollicite le soutient des autres pour organiser ses élections, qui envoie des délégations en Inde pour “supplier” afin qu’on accorde une dérogation pour pouvoir importer du riz… ne peut pas prétendre se débarrasser de “papa”.
J’ai eu aussi l’impression à des moments que le président Doumbouya était en train de dépeindre des réalités de son régime. Car, la plupart des anciennes pratiques qu’il a dénoncé, se font aujourd’hui.
Selon lui, avant le putsch, « aucune force politique, toutes complètement neutralisées à l’époque, n’avait le courage et les moyens de mettre un terme à l’imposture que nous vivions ». C’est vrai. Mais c’est pratiquement le cas aujourd’hui. Toutes les voix dissidentes sont neutralisées, combattues ou réduites au silence.
Il dénonce également la famine, la misère qui « rendent le quotidien de nos populations de plus en plus difficiles. » Là également je me demande s’il sait que le sac de riz de 50kg est vendu aujourd’hui à 315 000 GNF à N’zérékoré ? Qu’un kilogramme de sucre est négocié à 12 000 GNF, celui de l’oignon à 20 000 GNF ?
Le colonel affirme en outre que « quand les richesses d’un pays sont dans les mains d’une élite alors que des nouveau-nés meurent dans des hôpitaux par manque de couveuse, il n’est pas surprenant que dans de telles conditions nous assistons à des transitions pour répondre aux aspirations profondes du peuple.» Il a raison. Mais il ne fait pas non plus mieux que son prédécesseur dans ce sens. Pour preuve, pendant qu’il participe à la 78ème session de l’Assemblée Générale de l’ONU, le Conseil National de la Transition a fait de graves révélations sur leur gouvernance. On parle de 555 milliards de déperditions au détriment du trésor public, 2000 milliards perdu par an parce que des sociétés minières sont exonérées au paiement de certains taxes… sans oublier d’autres scandales révélés ces derniers jours dans des médias. Des gros montants détournés alors que des nouveau-nés meurent à l’hôpital de Yomou, des routes s’affaissent en forêt, des jeunes de Lola demandent de l’eau potable, d’autres meurent dans les eaux parce que sans espoir…
La remise en cause du système démocratique en Afrique et l’omission dans son discours de l’état d’avancement du processus à l’ordre constitutionnel doivent également interpeller. Pour moi, cela signifie que ce n’est pas une priorité pour eux. Sinon il allait profiter de cette tribune officielle pour rassurer les partenaires et surtout continuer à demander leur soutien au processus notamment dans la mobilisation des 600 millions de dollars. D’ailleurs, quand il dit : « Nous serions reconnaissants de nous faire confiance et de nous laisser mener notre barque comme vous l’avez permis dans certaines régions du monde : en Asie, au Proche Orient et Moyen Orient…« , je pense que tout est dit.