Évaluation des partis politiques en Guinée : pour quelle fin ? (Décryptage et analyse)

29 octobre 2024 6 min(s) pour lire
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En Guinée, le ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD) vient de publier le rapport final d’évaluation des partis politiques, réalisé avec le soutien du cabinet « international » NEXYME CONSULTING.

D’un point de vue formel, cette évaluation peut être considérée comme une initiative louable visant à établir une base d’évaluation des partis politiques. Cela permet non seulement de disposer d’une base de données, mais aussi de renforcer la transparence en responsabilisant davantage les partis politiques et en encourageant une meilleure gestion. En outre, l’identification des forces et des faiblesses de chaque parti par le MATD leur permettra d’améliorer leurs politiques et leur fonctionnement interne.

Ce rapport met également en évidence l’anarchie qui a longtemps prévalu dans la délivrance des agréments. En effet, cette évaluation révèle que le ministère de tutelle a longtemps négligé le suivi des partis politiques et ne disposait d’aucune base de données.

Selon le rapport, aucun des 211 partis politiques répertoriés dans le pays n’est actuellement en conformité, à l’exception des 37 partis qui n’ont pas encore été évalués. À ce jour, 53 partis politiques ont été dissous, 37 non évalués, 54 suspendus et 67 mis sous observation.

Et tenez-vous bien ! Selon le document de 180 pages :

40 % des partis répertoriés, soit 85 partis, n’ont aucune implantation identifiée sur le territoire national.
11 partis politiques ont fourni un agrément soit falsifié, soit impossible à authentifier car illisible.
64 % des partis politiques (soit 76 partis) ayant un agrément valide sont en retard pour la tenue de leur prochain congrès national.
40 % des partis politiques disposant d’un agrément, soit 50 partis, n’ont pas fourni un justificatif de domiciliation ou un titre de propriété pour leur siège national.
• Respectivement 52 % des partis suspendus et 28 % des partis mis sous observation n’ont pas de preuve d’adresse de leur siège national.
Aucun parti politique n’a réalisé le nombre minimum de 3 sessions annuelles de formation/sensibilisation de ses militants sur les 3 dernières années.
84 % des partis politiques disposant d’un agrément n’ont aucun plan de formation/sensibilisation.
1/3 des partis politiques disposant d’un agrément n’ont pas de compte bancaire, alors que 75 % des partis n’ont pas fourni de relevés bancaires.
Seuls 30 % des partis ont réalisé un inventaire de leur patrimoine sur les 3 dernières années.

En ce qui concerne le fond, il y a des éléments qui nécessitent des éclaircissements de la part du MATD. Il est dit dans le rapport que c’est le « cabinet international » appelé NEXYME CONSULTING qui a accompagné le département pour cette missions. Mais nos recherches ont révélé que ce cabinet n’a aucune autre expertise significative, ni dans la sous-région ni ailleurs dans ce domaine. En dehors de la mise en œuvre du système intégré de gestion du port autonome de Conakry (SIGPAC), de la réalisation du schéma directeur de la même entité et du schéma directeur informatique du nouveau système de gestion des finances publiques de la Guinée, qui sont des activités officiellement mentionnées sur son site Web, il n’y a aucune autre activité notable.

Nous nous sommes également rendu compte à travers Synergui (la plateforme d’enregistrement des entreprises créées en Guinée) que ce cabinet qui est une Société À Responsabilité Unipersonnelle (SARLU) a été créé le 21 août 2024 sous le numéro GN.TCC.2024.B.10813 avec pour gérant Thierry Dieudonné Samnyck. D’où la nécessité de s’interroger sur l’expertise avérée de ce cabinet.

D’après le rapport également, l’évaluation des partis politiques a eu lieu du 17 juin au 30 septembre 2024. Cela signifie que le cabinet a été créé deux mois après le début de l’évaluation, ce qui pose problème. Il est nécessaire de clarifier cette situation.

Dans un souci de transparence et d’information, nous avons contacté Thierry Dieudonné Samnyck, le gérant de Nexyme Consulting, afin de comprendre l’expertise et le rôle que son cabinet a joué auprès du MATD. À la première question de savoir si son cabinet a effectivement appuyé le ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation pour cette évaluation, notre interlocuteur répond : « Je ne peux pas vous répondre parce que je n’ai pas été informé par le ministère de tutelle. Donc, veuillez vous adresser au ministère. S’il m’autorise à vous accorder une interview, je vous l’accorderai. » Vous ne pouvez pas nous parler même de votre entreprise sans l’accord du département ? Avons-nous insisté. « Évidemment, bien sûr que oui », a répliqué M. Samnyck. Comment peut-on demander aux partis politiques d’être transparents et refuser de se prêter au même exercice ?

Par ailleurs, je trouve qu’il est illogique de justifier la suspension d’un parti en raison de conflits internes entre les membres de son organe de direction. Cela me semble être une décision prise à dessein. Sinon, la justice est là pour trancher sur ces cas. Il ne serait pas surprenant que le parti Union des Forces Démocratiques de Guinée (Guinée), qui est actuellement en « sursis » pour trois mois, soit suspendu pour les mêmes raisons. Il est notoire que la direction du parti est en conflit avec un ancien responsable exclu, qui est maintenant ministre et porte-parole du gouvernement.

Il convient également de noter que la demande aux partis politiques sous observation de fournir des justificatifs de paiement des cartes d’adhésion pour les trois dernières années ainsi que la déclaration des dons et legs, bien que cela puisse paraître complexe voire impossible en l’état, laisse entrevoir une manœuvre visant à disqualifier certains partis politiques.

À la lumière de ce qui précède, il est pertinent de s’interroger sur l’objectif réel de cette évaluation : vise-t-elle à assainir l’environnement politique guinéen ou à entraver la participation de certains partis en prévision de la candidature du chef de la junte, le général Mamadi Doumbouya ? Wait and see…


Lire ou télécharger le rapport intégral ici :

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