Dans le cadre de la vulgarisation de l’avant-projet de la nouvelle Constitution, le président du Conseil National de la Transition (CNT) a annoncé la semaine dernière à Dalaba que la nouvelle loi fondamentale assurerait une couverture santé universelle pour tous les citoyens guinéens. Selon Dansa Kourouma, dont les propos ont été rapportés par des médias, la nouvelle Constitution établirait les conditions nécessaires pour que chaque citoyen, quelle que soit sa situation financière, ait accès à des soins de santé gratuits en cas de maladie.
Le droit à la santé n’est pas une innovation de la nouvelle Constitution
Tout d’abord, il est important de noter que la Guinée a toujours reconnu, dans diverses Constitutions, que la santé est un droit fondamental, préalable à la jouissance des autres droits fondamentaux. À titre d’exemple, l’article 15 de la Constitution du 7 mai 2010 dispose que « chacun a droit à la santé et au bien-être physique. L’État a le devoir de les promouvoir, de lutter contre les épidémies et les fléaux sociaux. » Cette même disposition est reprise dans l’article 21 de la Constitution du 22 mars 2020. Ce n’est donc pas une innovation en tant que telle, et la précision est importante.
Il convient également de préciser que la Guinée a souscrit à plusieurs instruments juridiques internationaux en matière de santé, notamment la Déclaration d’Alma-Ata du 12 septembre 1978. Celle-ci souligne l’urgence de la promotion des soins de santé primaires et l’accès de tous à un niveau de santé acceptable.
La politique nationale de santé élaborée en 2014 et qui couvre la période 2015-2024 a également pour vision « la création d’une Guinée où toutes les populations sont en bonne santé, économiquement et socialement productives, bénéficiant d’un accès universel à des services et soins de santé de qualité ». Mais qu’est-ce qui a changé depuis ?
Couverture santé universelle (CSU) : possible ou utopie ?
Il est important de souligner que certains pays africains ont réussi à mettre en place une couverture santé universelle (CSU) pour leurs citoyens. Le Rwanda, par exemple, est un leader régional en la matière. Le pourcentage de la population disposant d’une assurance maladie est passé de 43,3 % en 2005 à 90,5 % en 2020. Le pays a également réduit la part de contribution des ménages au financement du système à 22 %. Depuis 2020, le gouvernement consacre plus de 15 % de son budget aux soins de santé. Le Ghana, la Tunisie et l’Afrique du Sud sont également des modèles en matière de CSU.
La mise en œuvre de soins de santé universels présente des défis considérables en termes d’investissements, de ressources humaines et d’infrastructures. Malheureusement, notre pays a encore beaucoup de chemin à parcourir dans ce domaine. La Guinée se classe parmi les pays de la sous-région qui mobilisent le moins leurs capacités économiques nationales en faveur de la santé. En 2021, les dépenses de santé représentaient seulement 3,76 % du PIB selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), donc bien en deçà des 15 % recommandés par l’Union africaine. Cette situation limite l’amélioration des infrastructures et des services de santé, affectant directement l’accès à des soins abordables et de qualité. Actuellement, le programme Simandou 2040 est présenté comme un « pont vers la prospérité », mais la santé et le bien-être sont relégués au dernier rang des cinq piliers.
Selon les résultats de l’enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) 2018-2019, le taux de pauvreté monétaire est de 43,7 %, et certaines institutions financières parlent de 44 %. Cette situation fragilise une partie importante de la population dans un contexte où la protection contre le risque maladie est faible.
Par ailleurs, la Banque mondiale indique que le revenu national brut (RNB) par habitant en 2023 est de 1 180 USD par an, soit 98 USD par mois – ce qui est nettement en deçà de la moyenne africaine évaluée entre 133 et 142 dollars par mois –, les ménages contribuent, par leurs paiements directs, au financement de la santé publique à hauteur de 62,2 % (PNDS 2015-2024 ; CNS 2010).
En 2021 par exemple, le financement de la dépense totale de santé (6 195,1 milliards GNF) provient principalement des ménages dont l’apport financier représente en moyenne 53,76 % sur la période 2014-2021 avec une proportion de 51,1 % en 2021. Et selon le plan stratégique national de la santé communautaire 2023-2027, cette forte dépendance du financement du système de santé par les ménages s’explique par la quasi-absence de mécanismes assurantiels, la surfacturation des soins et le niveau encore insuffisant du financement public au regard de l’objectif d’Abuja qui est de 15 % du budget de l’État alloué à la santé.
Actuellement, la dépense totale de santé (DTS) par habitant stagne autour de 432 000 GNF (44 dollars). Que dire des effectifs en ressources humaines dans le secteur public qui sont insuffisants par rapport au ratio de 2,5 agents pour 10 000 habitants ? En 2022, selon le plan stratégique national de la santé communautaire 2023-2027, les besoins d’agents de santé par région étaient de : Mamou (749), Boké (522), Faranah (504), Kankan (801), Kindia (476), Labé (643), N’zérékoré (1 405). Soit un besoin de 5 100 agents uniquement pour les régions. Le recrutement de 2024 à la fonction publique a permis cependant de recruter 2 207 personnes au compte du ministère de la Santé et de l’hygiène publique. Ce qui ne comble pas le déficit sans oublier que le besoin augmente au fil des années.
La réalisation de l’objectif de la couverture sanitaire universelle n’est pas une fatalité. Il incombe aux dirigeants de concrétiser les discours par des actions. En effet, selon des spécialistes, l’amélioration du système de santé guinéen passe principalement par le renforcement du système national et par un financement adéquat du secteur, notamment par la mise en œuvre d’un mécanisme de couverture sanitaire universelle (CSU) et le développement de la santé communautaire. Cependant, pour relever ces défis, il faut faire face à d’autres défis qui sont :
• l’amélioration de la gouvernance du secteur, la disponibilité de ressources humaines de qualité et motivées ;
• l’allègement des dépenses directes de santé sur les ménages tout en assurant au système un financement adéquat et équitable ;
• la disponibilité des produits de santé et technologies médicales ;
• le relèvement de l’efficacité du système d’information sanitaire et de la recherche…