Dimanche 30 juillet 2023, les dirigeants de la CEDEAO ont donné une semaine à la junte militaire à Niamey pour un « retour complet à l’ordre constitutionnel », affirmant ne pas exclure un « recours à la force » si ce n’était pas le cas.
Réunis récemment à Abuja, les Chefs d’état-major des armées des pays membres ont annoncé vendredi avoir « défini les contours d’une éventuelle intervention militaire. »
« Tous les éléments qui entreraient dans une éventuelle intervention ont été mis en évidence ici et ont été affinés, y compris le calendrier, les ressources nécessaires et comment, où et quand nous allons déployer une telle force », a déclaré Abdel-Fatau Musah, Commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité de la CEDEAO.
L’ultimatum expire ce dimanche 06 août et de notre analyse, cette intervention militaire ne sera pas de sitôt. Pourquoi ?
Forte opposition à l’option militaire
De plus en plus de voix s’élèvent contre cette intervention militaire et estiment qu’elle plongera la sous-région dans une situation d’instabilité totale. C’est le cas notamment du président algérien, Abdelmadjid Tebboune qui a déclaré samedi que « les menaces d’intervention militaire au Niger sont une menace directe pour l’Algérie et nous la rejetons totalement et catégoriquement. » Il en est de même pour le Tchad. Au Nigeria, la locomotive de l’opération, l’opposition au déploiement de troupes monte. Samedi, les sénateurs qui avaient été saisis par le président Bola Ahmed Tinubu, ont exprimé leur désaccord demandant au président et à la CEDEAO de privilégier d’autres voies notamment diplomatiques. Un peu plus tôt dans la journée, la principale alliance politique du pays, la Coalition des Partis Politiques Unis (CUPP), s’est également prononcée. Elle estime que l’intervention militaire au Niger est « coûteuse, inutile et absolument irréfléchie ». Le groupe de réflexion du gouvernement nigérian, le Bureau pour la préparation stratégique et la résilience (OSPRE), a pour sa part décrit le plan d’intervention militaire au Niger comme coûteux et irréalisable. Il recommande donc à la CEDEAO de non seulement suspendre l’option militaire, mais également interdire toute intervention militaire au Niger par des forces étrangères estimant que cela transformerait probablement le pays en un tourbillon d’instabilité dans la région. Au sein même de la CEDEAO, il y a des Chefs d’Etat qui ne seraient pas pour. C’est le cas du togolais, Faure Gnassingbé qui serait pour le dialogue.
Face donc à ces oppositions et critiques, il y a peu de chance que cette opération aboutisse.
Des contraintes juridiques
En outre, à défaut de traités ou accords ratifiés par les États membres et qui ont une autorité supérieure à celle de la Constitution, il serait difficile pour les Chefs d’Etat de déclarer la guerre sans le soutien des organes législatifs. Nous avons à propos regarder les Constitutions de certains pays prêts à déployer des soldats.
En Côte d’Ivoire, l’article 104 de la Constitution stipule que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. »
Au Sénégal, également l’article 70 de la Constitution est très précis : « la déclaration de guerre est autorisée par l’Assemblée nationale. »
Au Nigéria, le point 4 de la Constitution stipule que « (a) le Président ne peut déclarer l’état de guerre entre la Fédération et un autre pays qu’avec l’approbation d’une résolution des deux chambres de l’Assemblée nationale, siégeant en session conjointe ; et (b) sauf approbation préalable du Sénat, aucun membre des forces armées de la Fédération ne peut être déployé pour combattre en dehors du Nigeria. » Cependant, le point 5 laisse une ouverture mais dans un contexte très limité : « Nonobstant les dispositions du paragraphe 4 du présent article, le président, en consultation avec le Conseil de défense nationale, peut déployer des membres des forces armées de la Fédération dans le cadre d’une mission de combat limitée en dehors du Nigeria, s’il est convaincu que la sécurité nationale est menacée ou en danger de manière imminente. À condition que le président demande, dans les sept jours suivant l’engagement effectif au combat, le consentement du Sénat, qui doit ensuite donner ou refuser ledit consentement dans un délai de quatorze jours. » Sauf qu’à ce stade, beaucoup notamment les sénateurs du nord estiment que la sécurité du pays n’est pas menacée. Ils pensent bien au contraire que cette intervention militaire plongera des États de leur région dans le chaos.
Comme on le constate donc, le processus risque de prendre du temps à moins que les Chefs d’Etat décident de violer les textes ou comme indiqué plus haut, qu’il ait un traité ou accord entre les États membres de la CEDEAO dans ce sens.
Le dilemme de la CEDEAO
Le temps passe vite et il ne reste plus que quelques heures pour l’expiration de l’ultimatum. Quelle sera donc la prochaine ligne d’action de la CEDEAO ? C’est la question cruciale. Faut-il s’appuyer essentiellement sur les sanctions économiques et continuer à privilégier le dialogue ? C’est une option mais l’organisation a déjà annoncé la possibilité d’intervenir militairement. Et si la CEDEAO écoute toutes les voix qui lui demandent de ne pas déployer de troupes au Niger, elle pourrait être considérée comme un lion édenté qui continue de proférer des menaces vides. Une situation que le président Tinubu a décidé de corriger après son élection comme président en exercice. La CEDEAO se retrouvera également de plus en plus affaiblie et n’aura plus rien à dire aux autres putschistes du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso qui chercheront à se cramponner au pouvoir. La démocratie prendrait ainsi un sérieux coup dans la sous-région.
De toutes les façons, la CEDEAO joue sa crédibilité et même sa survie.