La liberté des médias est en état de siège en Guinée. Depuis plus de cinq mois, les fréquences des radios les plus écoutées sont brouillées et les principales chaînes de télévision (Djoma, Espace, Évasion) ont été retirées notamment sur les bouquets Canal+, à la demande de la Haute Autorité de la Communication (HAC). Officiellement, l’institution regulatrice des médias guinéens, invoque des « impératifs de sécurité nationale » pour justifier la forfaiture. Mais derrière ce motif, se cache une volonté réelle et manifeste de destruction des entreprises de presse jugées très critiques envers la junte militaire au pouvoir. Face à cette dure réalité aux conséquences néfastes multiples, notamment économiques, beaucoup de médias ont été contraints d’envoyer leurs employés en chômage technique. Dans certaines entreprises, les salariés ont passé plus de six mois sans toucher à leurs dûs.
Dans ce contexte où la liberté de la presse est sérieusement menacée, beaucoup de journalistes s’autocensurent et évitent de critiquer la junte ou d’aborder des sujets sensibles comme la corruption, le détournement de deniers publics et l’enrichissement illicite qui se sont érigés en système de gouvernance. La Haute Autorité de la Communication qui est censée protéger les journalistes et les médias conformément à ses attributions, est devenue un instrument de répression. Depuis janvier, au moins 3 journalistes et deux médias en ligne ont été suspendus pour une période allant de trois à 9 mois. Le 14 janvier 2024, le journaliste français Thomas Dietrich qui enquêtait autour de la corruption dans le secteur du pétrole, a aussi été arrêté et expulsé.
Manquements professionnels ou encore violation de la loi, sont entre autres les griefs de l’organe de régulation contre les journalistes et médias. Cependant, la Haute Autorité de la Communication n’est pas elle-même blanche.
La HAC entre incohérence et violation de la loi
L’institution s’illustre davantage dans la violation des dispositions de la loi N° L/2020/0010/AN du 03 juillet 2020, qui régie son fonctionnement. Son travail se fait désormais à sens unique. C’est-à-dire plus prompte à agir quand il s’agit de réprimer des journalistes ou médias, mais préfèrent se taire quand ces derniers sont victimes des pouvoirs publics. Pourtant, selon l’article 2 de cette loi, « la HAC est un organisme de défense du droit des citoyens à l’information ». A ce titre donc, elle a un rôle de soutien et de médiation en vue d’éviter non seulement le contrôle abusif des médias par le gouvernement, mais aussi la manipulation de l’opinion publique à travers les médias. Mais depuis novembre 2023, le droit des citoyens à l’information est en péril et rien n’est fait par l’organe de régulation malgré les multiples plaintes et sollicitations des associations de presse. Mieux, elle a décidé elle-même d’occulter son rôle de médiateur face à ce qui apparaît clairement comme un musellement de la presse au nom de la « sécurité nationale ». Elle sert dorénavant d’instrument pour bâillonner la liberté de la presse.
A travers également les différentes actions de la HAC, il y a l’impression qu’elle existe uniquement que pour la presse privée. Or, l’une de ses missions conformément à la loi, consiste aussi au « respect de la pluralité des courants de pensée et d’opinion dans les services publics de communication ». Malheureusement, ce principe n’est plus respecté. Les médias d’Etat servent de moyens de propagandes au service de la junte. Or, tellement le législateur tenait à cette pluralité, il l’a rappelé à l’article 4 alinéa 5 en ces termes : « Elle [la HAC] garantit l’impartialité des organes de presse de service public ». Mais cela n’intéresse plus la HAC, son problème ce sont les médias privés, les médias qui dérangent.
La Haute Autorité de la Communication reproche en outre aux journalistes, des manquements professionnels oubliant qu’elle a sa part de responsabilité. Selon l’article 34 de la loi sur le fonctionnement de l’institution, elle a « compétence en matière de formation professionnelle des journalistes en République de Guinée à travers sa Commission de formation ». Combien de sessions organise-t-elle par an ? Pourtant, comme toutes les autres institutions de la République, elle est dotée d’une subvention pour la réalisation de ses missions.
Le deux poids deux mesures dans le traitement des médias
Au même moment où la HAC suspend des médias et des journalistes au nom de la loi, d’autres médias proches de la junte continuent d’émettre en toute illégalité.
C’est le cas de la radio NOURDINE FM appartenant à El hadj Souleymane Sidibé, l’érudit controversé de Kankan qui affirme être le « père spirituel » du président de la transition, le Général Mamadi Doumbouya. Présente dans plusieurs localités du pays (Kankan, Siguiri, N’zérékoré, Faranah…), cette radio émet en toute illégalité et en violation de l’article 2 de la loi sur la liberté de la presse qui dispose qu’aucune station de radiodiffusion ou de télévision privée ou communautaire ne doit ni directement, ni indirectement s’identifier notamment à une religion ou une ethnie. Or, ce média au delà du fait qu’il soit confessionnelle, est devenu un instrument de propagandes et de règlements de compte aux imams qui ne partagent pas la même idéologie que son fondateur. La HAC est pourtant au courant mais elle fait semblant de ne rien voir ou entendre.
En septembre 2023, l’Inspection Régionale des Affaires Religieuses de Kankan a porté plainte contre cette radio et son promoteur pour « diffusion d’informations calomnieuses ». Sachant que le média est dans l’illégalité, la HAC a décidé de jouer à la médiation, à cause dit-elle, « des impératifs de paix et de cohésion sociale entre les fils de la Guinée ». Ce rôle de médiateur qu’elle refuse pourtant d’assumer quand il s’agit des journalistes ou médias jugés très critiques.
Mieux, par décision N°003, en date du 22 mai 2018, la Haute Autorité de la Communication avait ordonné à l’époque, la fermeture de plusieurs radios à Conakry et à l’intérieur du pays. Parmi elles, figurait NOURDINE FM considérée non seulement comme illégale mais, clandestine et confessionnelle. Alors que certaines ont été contraintes à revoir leurs lignes éditoriales pour continuer à émettre, NOURDINE FM a été épargnée. Quelle injustice ?
Comme le dit un proverbe, « que chacun balaie devant sa porte et les rues seront nettes ».